Les aidants, ces « patients cachés »
Lorsque mon diagnostic de cancer est tombé, la première idée qui m’est venue à l’esprit est : « Merci mon Dieu que ce soit tombé sur moi » ! Bien entendu je pensais à mes enfants que le sort avait épargné mais aussi, à mon mari qui allait immanquablement souffrir, pas comme moi, c’est certain, mais à côté de moi.
Par la suite, à chaque visite, à notre entrée dans son cabinet, mon oncologue commençait par lui demander comment il allait. J’avoue que j’étais surprise, pour ne pas dire vexée, qu’il ne me pose pas la question en premier ! Parce que finalement, c’était moi la malade, la souffrante, celle qui passait ses journées au lit à vomir tripes et boyaux, celle qui se battait contre des cellules malignes agressives, c’est moi qui risquait ma vie.
Et puis le temps a passé… la récidive est arrivée, avec ces nouveaux traitements si lourds et qui, manifestement, allaient s’installer dans la durée … La détresse de mon mari, à l’annonce de la rechute, a été immense : lui qui voulait croire que tout était enfin fini, lui qui aspirait à retourner dans la vraie vie – celle insouciante des bien-portants – se rendait compte soudainement que le monstre était réapparu et le spectre de la grande faucheuse avec lui. Tout était à refaire sans aucune certitude de victoire ! En tant qu’ homme, plus introverti que jamais, en tant qu’ être humain aussi, culpabilisant de sa souffrance face à la mienne tellement plus évidente, il s’est recroquevillé, refusant toute aide extérieure.
Aujourd’hui, j’ai compris à quel point il avait pris sur lui, à quel point il avait souffert … seul ; et j’ai réalisé que mon cancérologue avait raison de lui poser la question. Lui, mon aidant le plus proche, devait tenir le coup afin que je puisse avancer de mon côté. Il se devait d’être là pour m’aider non seulement matériellement mais aussi psychologiquement sans jamais faillir. S’occuper des enfants, de l’intendance, répondre aux questions des proches, me soutenir, me soigner, s’oublier, pour que la terre continue de tourner malgré le tsunami qui nous avait frappés.
J’ai depuis, rencontré beaucoup de ces hommes qui eux aussi subissent un énorme stress, la plupart du temps en silence, et sans le moindre soutien.
Ce problème essentiel commence a être pris en compte et une étude américaine dont les résultats ont été publiés en février dernier dans le journal « Brain, behavior and immunity » a porté sur le sujet . 32 hommes aidants d’une femme atteinte d’un cancer du sein environ 5 ans plus tôt, ont été interrogés sur leur stress après le cancer. 16 femmes avaient rechuté dans l’intervalle, 16 autres avaient un recul d’environ 6 ans sans récidive. La moyenne d’âge pour ces hommes était de 58 ans et ils étaient mariés depuis en moyenne 26 ans.
Le stress, mais aussi les manifestations physique en découlant, ont été évalués selon une échelle, l’Impact of Events Scale, qui s’échelonne entre 0 et 75. Il apparaît clairement que la rechute a un impact important sur le stress du conjoint puisque ces derniers affichent un score de 26,25 contre 8,9 chez les autres.
De plus les symptômes liés à ce stress (comme céphalées, fatigue, toux, nausées et problèmes intestinaux….) sont au nombre de 9 pour les aidants de femmes qui ont récidivé versus 5 dans l’autre cas. Enfin, les hommes au plus haut niveau de stress avaient des réponses immunitaires amoindries.
Ces hommes sont appelés par certains médecins aux USA les « patients cachés ». Il est évident qu’ils doivent être aidés aussi afin de continuer à être présents aux côtés de leurs épouses. Faute de quoi, nous assisterons malheureusement à de plus en plus de problèmes de couples qui se surajoutent à ceux de la maladie. Encore faut-il que ces hommes acceptent de faire face à leur détresse et qu’ils ne refusent pas l’ aide éventuelle d’un professionnel.
En France L’”Université des aidants“, est un projet dirigé par mon amie Sylvie Roussel, Chargée de Mission Innovation-Solidarité au département du Val de Marne. Elle travaille sur cette problématique des aidants – pas nécessairement dans le domaine du cancer et sans se restreindre aux conjoints – et utilise les nouvelles technologies afin de les aider à mieux vivre… J’ai eu le grand plaisir de tourner pour elle avec Dominique Noël présidente du comité d’organisation du festival de la Communication santé et le Professeur Franck Chauvin cancérologue , cette petite vidéo lors de la conférence Doctors 2.0 and you.
Sans nos hommes, sans les aidants au sens général du terme, il nous est encore plus difficile de nous battre. Eux aussi ont besoin de soutien! Il ne faut pas les abandonner parce qu’ils nous sont indispensables. Et je suis heureuse de voir que les choses commencent à bouger là aussi :).
Catherine Cerisey
Source : le quotidien du médecin
Illustration : la maison du cancer
Un témoignage qui m’a fait presque fait verser une larme. J’ai une tante dans le même cas et son conjoint prend sur lui au maximum.
C est tout à fait ça je pense que c est terriblement dur pour quelquu’un qui vit avec un malade (vivre ou supporter la maladie de l autre même à distance…..)
Merci d’en parler. Pour la famille c’est dur aussi. J’ai perdu ma mère d’un cancer, j’ai très mal vécu la situation d’accompagnement. Je lui en voulais d’être aussi entourée alors qu’à côté je me sentais si seule. D’un autre côté, je m’en voulais de penser à ça, je culpabilisais énormément. Aujourd’hui, c’est mon père qui est atteint d’un cancer. J’ai grandi, l’accompagnement est différent. Prendre du temps pour la personne malade… et prendre du temps pour soi. Il m’aura fallu 13 ans pour le comprendre.
Dans mon cas, les rôles sont inversés: je suis un homme, diagnostiqué en 2006 pour un cancer du rein métastasé, Stade IV, Grade III-IV. Le pronostic, à l’époque, était de 18 mois… N’eut été de ma conjointe, je sais que je ne serais pas là aujourd’hui pour en parler. Elle a eu – et a – la force que j’ai perdue à maintes reprises. Comment? Je ne saurais dire. Mais ce que je sais, c’est qu’effectivement le système de santé (je suis au Québec) ne prend pas vraiment en considération les proches aidants. Il nous a fallu, tous les deux, apprendre à vivre avec la maladie, à trouver l’énergie pour les jours où tout semble perdu, et la lucidité pour savourer le bonheur et l’amour qui demeure toujours présents, les bons jours comme les mauvais.
vivre avec malade, certes, est déjà terriblement dur, mais vivre avec un malade que l’on chérit, alors là…
stéphanie
Bonjour à tous et merci pour vos témoignages ,
Je vois, Benoît, que les aidants ne sont pas plus soutenus au Québec :(.
Le cancer impacte tout de nos vies et nos proches en première ligne! Il faudrait qu’il y ait une proposition d’aide systématique pour eux. C’est épuisant d’être aux côtés d’une personne qui souffre. Épuisant physiquement et psychologiquement !
Nous sommes mobilisées à sauver notre vie et ne prenons pas parfois, la mesure de leur douleur. Et pourtant ….
Je vous embrasse tous
Catherine
Nos quatre enfants, jeunes adultes, et moi avons accompagné pendant un an mon époux dans son combat contre le cancer du rein. Nous avons été auprès de lui dans sa lutte, tâtonnant, jamais surs de faire ou dire ce qu’il fallait, mais nous nous sommes forgés auprès de lui une force qui nous a permis d’être là, ancrés à la réalité, jusqu’à son dernier souffle. J’ai trouvé auprès d’un certain nombre de soignants une écoute attentive heureusement, l’aide d’une psychothérapeute pour moi, aidante, a été indispensable pour tenir la distance au niveau de l’énergie et ses conseils ont été précieux pour alterner lutte et repos. L’entourage familial et les amis très proches nous ont portés tous . Nous avons acquis une expérience que nous pouvons mettre au service d’autres personnes touchées par la maladie et une formation serait merveilleuse pour créer des groupes de paroles, par exemple.
Eh oui, on a tendance à oublier ceux qui nous accompagnent dans cette dure épreuve des fois. Ils sont là. Leur moral doit être remonté tout comme le nôtre pour que leur stress et leur désespoir ne nous fassent à nouveau rechuter. Une place d’honneur pour les patients cachés.
Bonjour et merci à tous !
je conseille de lire le papier sur le sujet publié sur la maison du cancer : http://www.la-maison-du-cancer.com/magazine/les-chambres/les-amis-et-proches/malades-faites-aussi-attention-vos-proches
Très bonne journée
Catherine
Ce billet est très bien rédigé. On m’a récemment diagnostiqué un cancer du sein. J’ai commencé ma première chimio mercredi dernier. Mon mari est à mes côtés et prend sur lui. Je lui ai proposé de voir le psy après les pour quoi faire, il en est à la phase, peut-être plus tard. Y a du progrès!
Merci,
Les hommes sont souvent réticents aux psys, persuadés qu’ils ne servent à rien et qu’ils seront plus forts :(…. pourtant quelques séances peuvent les aider et par ricochet nous aider nous aussi. Peut être un argument à mettre en avant :).
Très bonne journée et à vite j’espère
Catherine
Je lis avec beaucoup d’attention tout ce qui est dit ici. je me croyais tout seul dans mon coin… ce serait intéressant de disposer d’un forum ouvert aux aidants. Pour ma part, j’ai connu ma « doucig » à la veille de sa première opération, il y a un peu plus d’un an. Je ne la connais que dans cette souffrance devant laquelle je me sens si petit. Je la connaîtrai dans la lumière retrouvée.
Bonjour Christian,
Non vous n’êtes pas seul, loin de là ! Certains forums, s’ils ne sont pas dédiés aux proches accueillent volontiers les aidants. Etes vous allé sur celui de la maison du cancer?
je souhaite de tout coeur que vous retrouviez votre petite lumière 🙂
Catherine
Bonjour,
Effectivement les aidants sont souvent oubliés.
J’ai utilisé ce site (http://www.virtualhospice.ca/fr_CA/Main+Site+Navigation/Home.aspx) en tant que patiente de stade IV, mais aussi parce que je supporte ma mème qui fait de son mieux avec mon père très malade. Le forum est tout nouveau du coté franco, mais je suis convaincue qu’il sera utile pour beaucoup de personnes qui recherchent un oreille attentive.
Amicalement,
Suzanne
Merci encore pour ce lien Suzanne, tu es une mine d’infos :).
Bisous