« Eve n’est pas coupable »
Un cancer est un tsunami, une bombe qui vous tombe dessus sans prévenir. Mais en plus de composer avec la maladie, d’avoir mal, d’avoir peur, il nous faut composer avec la culpabilité savamment distillée au gré des paroles de proches toujours bien attentionnés. Un commentaire du Docteur Dominique Gros, des discussions avec des amis, un article lu dans un journal m’ont interpellée : de quoi sommes-nous donc coupables?
Et cela commence dès l’annonce. Juste après le moment de sidération qui nous envahit, vient la question du pourquoi moi? Qu’ai je fait ou pas fait pour mériter ça ? Notre culpabilité judéo chrétienne resurgit avec fracas. Choc émotionnel mal géré, conduites à risques, mauvaise hygiène de vie … jusqu’à se demander si l’on n’a pas fait ou dit quelque chose de pas très avouable vis à vis de sa copine ou sa voisine de pallier qui aurait attirer les foudres d’une divinité quelconque sur nous? Mais nous savons aujourd’hui que le cancer est une maladie multifactorielle, que c’est un faisceau de causes qui ont engendré le développement anarchique de ces cellules dans notre corps jusqu’à le rendre malade, que nous ne sommes en aucun cas responsables d’avoir développer ce cancer du sein qui nous ronge.
Ensuite vient la période des traitements et là, le commun des mortels à une théorie tenace : « le moral c’est 50% de la guérison ». J’ai déjà écrit un post sur le sujet, mais j’avoue que cette phrase m’horripile particulièrement . Et donc, quand on n’a pas le moral, et avouez que cela arrive fréquemment, le risque est grand de se dire que nous ne faisons pas ce qu’il faut pour guérir. Or ce mythe n’est basé sur aucune thèse scientifique fiable. Il existe des cancéreux déprimés qui s’en sortent et à l’inverse des malades au moral d’acier peuvent ne pas guérir. Un article intitulé « Les malades du cancer face à la « tyrannie de la pensée positive » » vient de paraître dans le dernier La croix qui démonte ce poncif que l’on retrouve de façon quasi permanente dans l’imaginaire collectif. Je vous engage à le lire….
Enfin le temps de la fin des soins arrive… Fini les allers retours à l’hôpital, fini les traitements lourds. Nous sommes guéris ! Enfin ça c’est c’est ce que pensent les bien-portants, les autres… Nous, nous devons d’abord nous battre avec de nouveaux adversaires : la solitude face à notre peur de la rechute, la fatigue et les effets secondaires qui persistent, voire même la dépression suite à ce dur combat …. Livrées à nous mêmes, seules face aux contrôles rapprochés, à nos médecins qui nous parlent de rémission et non de guérison, nous sommes loin de nous sentir sorties d’affaire. Mais sommes-nous coupables de ne pas nous sentir à nouveau dans le monde des bien-portants? Sommes-nous coupables d’entretenir les liens d’amitié crées avec nos compagnes d’infortune qui elles nous comprennent si bien? Sommes-nous coupables d’avoir encore le besoin de vivre dans le monde du cancer parce que, finalement, nous n’en sortons jamais vraiment?
Finalement c’est tout au long de notre parcours que nous devons composer avec les phrases assassines de certains proches et nous battre contre certains clichés qui ont la dent dure. La culpabilisation qu’ils génèrent est difficile à vivre et vraiment pas nécessaire. Non, nous ne sommes en rien responsables de ce qui nous arrive ; non, nous ne pouvons pas toujours avoir le moral, sourire, supporter la douleur sans rien dire ; et non, notre peur est légitime et nous ne pouvons pas simplement fermer le livre et oublier comme on nous le demande. Comme le dit le Dr Dominique Gros, NON, « Eve n’est pas coupable » …
Catherine Cerisey
A lire aussi : Pourquoi moi ?
j’adore.
« Mais sommes-nous coupables de ne pas nous sentir à nouveau dans le monde des bien-portants? Sommes-nous coupables d’entretenir les liens d’amitié crées avec nos compagnes d’infortune qui elles nous comprennent si bien? Sommes-nous coupables d’avoir encore le besoin de vivre dans le monde du cancer parce que, finalement, nous n’en sortons jamais vraiment? »
actuellement je suis ds une phase ou je n’ose même plus parler de ce que je lis ou de ce que je vis avec les cop’ de galère, si c’est en rapport avec le C……… chut faut plus en parler!!!
donc ben je partage pas grand chose!!!…..
pour ce qui est de la culpabilité, je ne me suis pas « senti coupable » mais par contre je ne sens responsable, et surtout responsable aujourd’hui de la façon dont je vis et dont j’ai vécut la traversée de cette « expèrience ». Responsable de mes décisions et de mes choix.
bises à toutes
En tous cas, toi tu les as, « les mots pour le dire ». Merci Catherine, et bonne rentrée ; )
Oui véritable typhon qui passe sur notre vie, seulement on connait le commencement mais pas la fin….durant cette période il faut s’accrocher à la branche de la vie, surtout ne pas la lacher….Pour ma part mon cancer était in-situ (je dis « était », car mes médecins parlent de guérison), 3 chirurgies avec une ablation totale du sein, mais sans traitement lourd, comme beaucoup d’entre vous, vous subissez.. Mais ça était (et ça l’est encore) une période difficile, jalonnée, comme tu dis Catherine, des phrases assassines, du genre, je cite » il ne faut pas que j’oublie mon RDV avec le gynéco !!!!….ou pire : » ben, s’il faut t’enlever le sein, c rien, après tu seras guérie !!! « …mais ces femmes-là elles ont qu’à aller se faire enlever le sein, ou courir chez le gynéco !!! je suis devenue un pense-bête sur l’agenda de ces dames…..Mais ce cancer, m’a permis de réfléchir sur moi, de me permettre d’exercer mon métier d’infirmière avec plus d’empathie, que j’avais avant, mais que je comprends désormais….dernièrement, j’ai longuement parlé de ma sagesse acquise durant ma maladie avec un patient atteind d’une tumeur cérébrale et il m’a dit une phrase magnifique : » vous rayonnez et vous donnez l’envie de s’accrocher »…Désormais, j’ai fait du tri dans ma vie, il ne me reste plus beaucoup de monde autour de moi, mais au moins celles-ci, au moindre appel de ma part, elles accoureront.
Gros bisous, Catherine, tes articles sont à chaquefois un immense plaisir à lire….Maryline
Le commentaire de Martine me rappelle quand même quelques douleurs, en ce qui concerne les « cops de galère ». Une de mes amies proches y est passée avant moi, ce qui fait que tout ce que je pouvais exprimer n’avait comme aucune importance, elle semblait tout savoir mieux que moi, elle était déjà passée par là, et ma parole n’était pas vraiment bienvenue. Peut-être qu’elle n’avait pas envie de revivre ça, moi je me suis sentie rejetée. Plutôt que de trouver une alliée, j’ai perdu une copine… Et ça, c’est une souffrance.
magnifique catherine, c’est vraiment notre ressenti…..mais comment faire il faut rester dans la vie, avec ceux qui vous aime à leur façon, on a tellement le sentiment que pour nous, rien ne sera plus comme avant quelque soit le stade de notre maladie, mais immédiatemnt je pense à mes soeurs de combat qui chaque jour se battent , elles sont toutes devenues ma famille et mon coeur bat aujourd’hui en partie pour elles…..
Il n’y a de coupable que l’ensemble de l’humanité qui par ses dérives a laissé s’installer dans notre mode de vie des éléments plus que dangereux. Cet instinct de mort qui semble animer l’humanité depuis au moins deux siècles.
extra ton article Cath’ !!!
je m’y retrouve, voire je m’y sens bien.
j’essaie de laisser dire les choses plutot que m’enerver, mais bon… y’a des moments où ça gonfle grave ! (tu vois si en ce moment j’ai l’energie !!! 😉 mais y’a que ma tête d’énergique) surtout que ça vient souvent des parents, qui voudraient tout savoir et interpréter…
bon, je fais court, rien à dire de mieux que toi 😉
je t’embrasse !
Merci Catherine pour ce superbe article!!!
Il est vrai que, (en tout cas pour ma part) on se sent coupable de « fabriquer » ces cellules anarchiques. C’est nous, notre corps qui en décide…. Très dur de vivre un cancer, et en plus de se sentir coupable…..
Merci à toutes pour vos gentils commentaires, je suis ravie que ce billet ait trouvé un écho chez vous toutes.
@Brume vraiment ravie de te revoir présente dans la blogosphère !
Je vous embrasse fort les filles
Catherine
Il n’y a pas grand chose à rajouter à ton article. Nous sommes nombreuses à nous retrouver dans ce que tu exprimes.
Pour ma part, je me dis que je dois être « sacrément » coupable de bien des choses, car, non seulement j’ai eu un cancer du sein, non seulement j’ai eu des angoisses après la fin des traitements (peur de la récidive), non seulement de mon K et des autres aujourd’hui encore je cause (why ? Because… To be or not to cause…), mais voilà que l’on vient de me diagnostiquer un mélanome (opéré la semaine dernière).
Bon, je n’ai pas perdu mon humour, et ça, c’est pour la bonne cause… Mais au fond de moi, il y a l’inquiétude de me dire que l’on n’est pas près d’arrêter d’examiner les cellules de mon corps au microscope. Je sentais déjà une épée de Damoclès au-dessus de ma tête, et voilà que pour moi, Damoclès a deux épées. Serais-je doublement coupable ?
Merci Catherine pour ton post, toujours aussi pertinent ! Et pardon pour mon humour… impertinent.
J’étais allée voir une psy prise un peu au hasard après mon annonce, j’avais besoin de m’épancher. Elle m’a déclarée que mon cancer du sein était liée à un conflit mère-enfant, soit moi et ma mère, soit moi et mes filles. Elle a ajouté que comme j’avais des métastases au foie, ça signifiait que mon conflit était en voie de résolution. De quoi me faire porter la responsabilité de ce cancer. Pourquoi des bébés auraient le cancer ?
Je ne me sens en aucune façon responsable de mon cancer, j’apprends juste à vivre avec et à ne pas réagir à chaque jugement d’autrui sur mon cancer mais parfois c’est vraiment trop gros pour que je laisse passer. C’est bien pour ça comme tu le dis, chère Catherine, qu’il n’y a que celles et ceux qui sont passés par là qui nous comprennent.
Terrible ta psy, Isabelle, j’en reviens pas qu’on puisse dire des conneries pareilles ! Des bises à toutes 🙂
Bonjour les filles d’Eve, les Amazones qui pourfendent le maudit crabe!
Responsables? Non.
Irresponsables? Oui, ceux qui nous rebattent les oreilles avec leurs discours foireux, particulièrement la psy d’Isabelle de Lyon, record de nullité!!!
On ne se comprend bien qu’après avoir vécu ces épreuves.
Continuons à discuter entre nous et merci à toi, Catherine.
A bientôt
bonjour à toute sa réconforte de vous lire ayant aussi se truc le gros des traitements est fait je me pose beaucoup de questions merci à toutes
Bonjour les filles,
@Isabel : désolée d’apprendre pour ton mélanome :-(… j’imagine que tu es bien prise en charge, mais je comprends ô combien ton histoire d’épées de Damoclès. Et surtout merci pour ton humour impertinent, ne change rien surtout !
@Isabelle de Lyon : pfff encore une qui s’est trompée de métier! je suis désespérée face à la bêtise des gens particulièrement quand il s’agit de soignants. Ca me met en rogne ! heureusement que ça tombe sur quelqu’un comme toi qui a la capacité de faire le tri dans ce qu’on te dit… mais quand ça n’est pas le cas, quand le psy s’adresse à une personne fragile, c’est la cata !
@Gasteletb : surtout n’hésitez pas à me contacter par mail, si je peux vous aider en répondant à quelques unes de vos questions …
très bonne journée à toutes et des bisous
je suis kinésithérapeute et je partage beaucoup avec mes patientes mes inquiétudes et aussi mes réflexions sur cette maladie
j’ai comme toi la chance de n’avoir qu’une lésion in situ qui va nécessiter une ablation avec reconstruction immédiate dans un mois
je vais leur montrer combien je suis une femme commre les autres et combien j’aime la vie plus que tout
Bonjour
Oui vous êtes une femme comme les autres et certainement une soignante hors du commun. merci pour votre témoignage ….
Je veux rendre hommage ici à ma kiné, qui est la personne qui m’a le mieux et le plus soutenue dans ces épreuves. Et par elle, toutes les autres… Merci les kinés, et bon courage, Ribault. ; )